Dans le monde ancien de Heldion, un univers façonné par des forces mystiques et des dieux oubliés, s’étendait le vaste continent de Glaad. Ce dernier était un lieu de contrastes : des forêts primordiales où résonnaient les chants des esprits anciens côtoyaient des déserts hantés par des tempêtes enchantées, et des montagnes si hautes que leurs sommets perçaient les nuages, semblant effleurer les cieux.
Parmi ces montagnes légendaires se trouvait Araethir, surnommée « la Dent du Ciel » par les bardes de Glaad. Ce pic solitaire et déchiqueté dominait les environs avec une aura intimidante. On racontait que ses flancs abritaient des grottes où vivaient autrefois les Ankéides, des esprits d’ombre nés de la colère des dieux bannis. Ces créatures, mi-ombres, mi-souvenirs, régnaient sur Araethir, maintenant les mortels à distance grâce à des maléfices invisibles.
Dans ce contexte se dressait Erydan, un héros solitaire dont le nom était murmuré dans les tavernes et les campements des voyageurs. Descendant de la lignée des Gardiens d’Éphérys, un ordre ancien ayant juré de défendre l’équilibre de la magie sur Heldion, il portait sur ses épaules le poids d’un héritage. Ses deux épées, forgées par les druides dans les forêts de Lumiène à l’aube des âges, étaient des artefacts uniques. L’une, Faëlgard, brillait d’une lumière dorée, capable de dissiper les illusions et de briser les maléfices. L’autre, Umbraeth, une lame noire comme une nuit sans étoiles, était faite pour trancher les ombres elles-mêmes, capturant leur essence dans des runes gravées le long de sa lame.
Erydan avait passé des années à errer à travers Glaad, guidé par des visions énigmatiques qu’il attribuait aux esprits bienveillants du monde. Ces visions, claires comme des souvenirs, l’avaient finalement conduit vers Araethir. Les légendes disaient que ce lieu maudit n’était pas qu’un refuge pour les esprits de l’ombre, mais aussi le tombeau de secrets capables de changer le destin de Glaad. Certains murmuraient qu’au sommet d’Araethir reposait une relique issue des temps primordiaux, « l’Âme du Val », une pierre cristalline où la magie de la création et de la destruction se mêlait. Mais cette relique, disait-on, était corrompue depuis des siècles par les Ankéides, transformée en une source de désespoir et de chaos.
Avec une détermination sans faille, Erydan entreprit le voyage vers Araethir, sachant qu’il ne trouverait pas seulement des épreuves physiques, mais qu’il devrait aussi affronter les ombres de ses propres doutes. Les murmures de Glaad, portés par le vent, le guidaient vers son destin. À chaque pas, il ressentait la magie de ce monde, circulant à travers les rivières et les racines des arbres comme un courant invisible, le rappelant sans cesse à sa mission : protéger Heldion et restaurer l’équilibre que tant avaient abandonné à l’obscurité.
Le village de Harnil, niché dans la vallée verdoyante qui s’étendait sous le regard imposant d’Araethir, était autrefois un lieu de sérénité et de prospérité. Ses champs fertiles s’étalaient comme un patchwork doré, irrigués par la rivière Aenvar, dont les eaux cristallines étaient réputées pour leurs propriétés curatives. Les habitants, simples fermiers, chasseurs, et artisans, vivaient en harmonie avec la nature et les flux magiques de Heldion, honorant les anciens esprits par des rites saisonniers. Mais cette quiétude avait pris fin un soir, il y a plusieurs saisons, lorsque la brume avait commencé à s’infiltrer dans la vallée.
Chaque nuit, à mesure que le soleil disparaissait derrière les crêtes d’Araethir, une brume sombre et lourde descendait des hauteurs, étouffant les sons et les couleurs du monde. Cette brume n’était pas ordinaire : elle suintait de magie malveillante, corrompant tout ce qu’elle touchait. Les cultures noircissaient et se fanaient, les troupeaux devenaient agités, et les habitants eux-mêmes étaient affectés. Beaucoup rapportaient des rêves terrifiants, des visions de créatures éthérées aux yeux luisants, leurs voix murmurant des vérités inquiétantes ou des promesses de désespoir. Certains villageois s’étaient même aventurés dans les brumes, poussés par la curiosité ou la folie, et n’étaient jamais revenus.
Les anciens du village, gardiens des légendes et des souvenirs, reconnurent rapidement la signature de l’Ankéide, une entité née de la corruption magique. Ils murmurèrent des prières aux dieux oubliés et racontèrent que cette malédiction était liée à l’Âme du Val, une pierre légendaire cachée au sommet d’Araethir. Selon les récits, cette pierre était autrefois un réceptacle de la magie pure, utilisée pour protéger la vallée et bénir ses habitants. Mais un jour, un pouvoir noir avait touché l’Âme du Val, pervertissant son énergie et éveillant une entité ancienne, une ombre consciente.
Les villageois comprirent vite qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes pour survivre. Ils bâtirent des palissades de bois et des feux d’alerte pour éloigner les créatures nocturnes qui accompagnaient parfois la brume. Mais ces mesures n’étaient que des pansements sur une plaie plus profonde. La vallée entière semblait souffrir, et même les forêts aux abords du village commençaient à dépérir, leurs arbres se tordant sous une force invisible.
Lorsque Erydan arriva à Harnil, son ombre projetée par le soleil levant dans la vallée, il trouva un village à bout de forces. Les visages des habitants étaient creusés par l’insomnie et la peur, leurs corps affaiblis par le manque de récoltes. Ils reconnurent dans l’équipement d’Erydan – ses deux épées scintillant faiblement de leur propre lumière et son manteau marqué par le symbole des Gardiens d’Éphérys – une lueur d’espoir. Les anciens lui contèrent l’histoire de l’Âme du Val et implorèrent son aide.
Erydan écouta en silence, son regard posé sur les brumes qui s’accrochaient encore aux flancs de la montagne, comme si elles observaient le village. Il comprit rapidement que ce qu’il affrontait n’était pas simplement une manifestation de magie corrompue, mais une force vivante, un mal intelligent qui s’était enraciné dans le cœur de la montagne. Pour briser la malédiction, il devait non seulement purifier l’Âme du Val, mais aussi détruire l’Ankéide qui la gardait.
« Vous avez souffert assez longtemps, » dit-il d’une voix calme mais résolue. « Je gravirai Araethir et ramènerai la lumière à votre vallée. »
Les villageois regardèrent son départ en silence, leur espoir ravivé par cette promesse. Mais dans leurs cœurs, une question persistait : un seul homme, même un Gardien, pouvait-il défier une montagne et vaincre une ombre ?
Erydan avançait sur le sentier rocailleux serpentant à travers les flancs escarpés d’Araethir. Le vent,
glacé et imprévisible, semblait porter plus que de simples courants d’air. Des murmures indistincts l’entouraient, comme si les montagnes elles-mêmes chuchotaient des secrets oubliés. Certains étaient clairs, porteurs d'encouragements : des voix douces, réconfortantes, rappelant les chants des druides qui l’avaient formé dans sa jeunesse. D’autres, plus sombres, émanaient des crevasses et des ombres mouvantes des rochers. Ces dernières s’infiltraient dans son esprit comme un poison, lui susurrant qu’il n’était qu’un échec, que son destin n’était pas celui d’un héros, mais d’un homme condamné.
Ces voix, il les connaissait. Elles étaient les mêmes que celles qui le hantaient depuis son enfance, depuis qu’il avait compris qu’il était le dernier des Gardiens d’Éphérys, une lignée brisée par la guerre et la trahison. Les Gardiens étaient autrefois les protecteurs des flux magiques de Heldion, des guerriers mystiques et érudits capables de sentir les déséquilibres dans l’énergie du monde. Leur tâche était de restaurer l’harmonie et de protéger les terres contre les forces corruptrices. Mais leur ordre avait été presque éradiqué lors de la Guerre des Voiles, un conflit dévastateur où des factions avides de pouvoir avaient tenté de s’approprier les sources magiques. Les Gardiens, trop peu nombreux, s’étaient sacrifiés pour contenir le chaos.
Erydan n’était qu’un enfant lorsque la dernière bataille avait eu lieu. Il se souvenait du feu embrasant les cieux, des hurlements des combattants, et de son père, le grand Gardien Altheris, le déposant dans un cercle druidique avant de repartir vers la guerre, pour ne jamais revenir. Il avait grandi dans l’ombre de cet héritage, recueilli et formé par les druides de Lumiène, des alliés des Gardiens. Mais même parmi eux, il sentait le poids des regards. Certains voyaient en lui une relique d’un passé révolu, un symbole d’espoir peut-être, mais inutile dans un monde qui semblait vouloir s’éloigner de la magie.
Pourtant, il s’était juré de ne jamais laisser la mémoire des Gardiens s’éteindre. Lors de ses rites de passage à l’âge adulte, il avait retrouvé Faëlgard et Umbraeth, les deux épées ancestrales de sa lignée, cachées dans les ruines d’un sanctuaire secret. Faëlgard, la lame de lumière, était l’arme de son père, tandis qu’Umbraeth, la lame d’ombre, avait appartenu à sa mère, une Gardienne au passé énigmatique. Ces armes, presque conscientes, résonnaient avec lui, s’illuminant ou frémissant selon ses émotions. Avec elles, il se sentait enfin digne de son nom.
Pourtant, le doute n’avait jamais cessé de le hanter. Lors de ses errances à travers Glaad, il avait connu des victoires, mais aussi des échecs. Il avait sauvé des villages des malédictions mineures et repoussé des créatures des ténèbres, mais il n’était jamais parvenu à vaincre cette voix intérieure qui lui murmurait qu’il était insuffisant. Il savait que purifier l’Âme du Val et vaincre l’Ankéide serait le plus grand défi de sa vie. Un échec ici ne signifierait pas seulement sa mort, mais la condamnation du village de Harnil et l’obscurcissement de la vallée entière.
Alors qu’il marchait sur le sentier, les murmures devenaient plus clairs. Une voix douce, semblable à celle de son père, lui disait :
« Tu as la force, Erydan. N’oublie pas ce que nous avons protégé. »
Mais presque aussitôt, une autre, froide et cruelle, riposta :
« Tu n’es qu’un survivant par accident. Le dernier des tiens, car tu n’étais pas assez fort pour mourir avec eux. »
Il s’arrêta un moment, serrant les poings, sentant le poids des deux épées sur ses hanches. Le vent fouettait son manteau, mais il ne bougea pas. Inspirant profondément, il ferma les yeux et se remémora un enseignement des druides :
« Les ombres ne vivent que si tu leur donnes ton regard. La lumière est toujours en toi, même si tu ne la vois pas. »
Ces paroles apaisèrent son esprit, et il reprit sa marche.
Alors qu’il approchait des pentes plus escarpées, une lueur faible émanant de Faëlgard se mit à scintiller, comme si la lame ressentait le mal à venir. Erydan posa une main sur la garde, murmurant pour lui-même : « J’ai juré de protéger cette terre, et je le ferai, même si je dois y laisser mon âme. » Les murmures s’apaisèrent, mais il savait que le véritable combat, celui qui déciderait de son destin, était encore à venir.
Les flancs d’Araethir semblaient enveloppés d’une obscurité vivante, une brume dense et mouvante qui n’était pas qu’un simple phénomène naturel. Alors qu’Erydan avançait avec précaution sur les pierres instables du sentier, le vent s’éteignit soudainement, laissant place à un silence pesant. Puis, comme surgies des ombres elles-mêmes, les gardiens d’ombre apparurent.
Ces créatures n’étaient ni tout à fait humaines, ni entièrement des esprits. Leurs silhouettes ondulaient, indistinctes, comme si elles n’étaient que des reflets dans une eau troublée. Leurs traits se déformaient en permanence, mélange d’anciens visages tourmentés et de brumes tourbillonnantes. De longs doigts effilés se terminaient en griffes éthérées, et leurs yeux, deux puits d’obscurité pure, semblaient sonder les failles dans l’âme d’Erydan. Leur simple présence dégageait une froideur qui s’infiltrait dans les os, et des murmures incompréhensibles résonnaient, amplifiant la sensation d’oppression.
Erydan sentit ses deux épées vibrer à ses côtés, réagissant à la menace. Il tira Faëlgard d’un geste fluide, et la lame scintilla d’une lumière dorée, une chaleur rassurante qui repoussa légèrement les ombres autour de lui. Quand il dégaina également Umbraeth, la lame d’ombre, un contraste saisissant se créa : la lumière et les ténèbres de ses épées semblaient s’équilibrer, comme deux forces opposées mais indissociables. La brume autour de lui recula un instant, comme si elle hésitait face à cette dualité.
Puis, sans avertissement, les gardiens d’ombre attaquèrent. Ils se déplacèrent comme des rafales de vent, rapides et imprévisibles, leurs griffes sifflant dans l’air. Erydan esquiva d’un mouvement agile, ses bottes trouvant un appui sûr malgré le terrain traître. Il riposta avec Faëlgard, la lame traçant un arc brillant dans l’air. Lorsqu’elle trancha le premier gardien, celui-ci ne se dissipa pas comme de la fumée, mais poussa un cri aigu et déchirant. La lumière de Faëlgard avait touché son essence, et le spectre sembla s’effondrer sur lui-même avant de disparaître.
Un autre spectre se jeta sur lui, mais cette fois, Erydan pivota avec Umbraeth, sa lame d’ombre tranchant dans l’éthéré. Au lieu de lumière, une onde sombre et apaisante émana de la lame, absorbant la magie corrompue du gardien. Chaque coup porté par l’une ou l’autre des épées semblait déclencher un changement dans l’environnement. Faëlgard illuminait les environs, comme si elle rendait la montagne à la lumière du jour, tandis qu’Umbraeth semblait purifier les ténèbres, absorbant leur venin et les restituant sous une forme inoffensive.
La bataille s’intensifia. Les gardiens attaquaient en coordination, leurs mouvements fluides formant une danse presque hypnotique. Erydan tourbillonnait entre eux, ses lames traçant des arcs opposés mais harmonieux, un équilibre parfait entre destruction et purification. Il savait que chaque coup devait être précis, car les gardiens n’avaient pas de chair à blesser. Il devait viser leur essence, ce noyau fragile niché au cœur de leur brume.
À mesure que les gardiens tombaient un par un, Erydan ressentit un changement. Les ombres autour de lui semblaient perdre leur densité, et une lueur diffuse commençait à poindre à travers les brumes. La montagne elle-même semblait se réveiller, comme si chaque coup libérait un fragment de lumière emprisonnée depuis des siècles. Les rochers auparavant ternes scintillaient de reflets dorés, et même l’air semblait plus léger.
Mais la bataille n’était pas sans coût. Chaque attaque des gardiens d’ombre laissait une trace invisible, une pression sur son esprit et son âme. Leur magie corrompue cherchait à infiltrer ses pensées, à lui rappeler ses peurs et ses doutes. Entre deux assauts, Erydan entendit une voix sifflante dans son esprit :
« Tu n’es pas assez fort. Tu ne peux sauver personne. Renonce, et nous t’accorderons le repos. »
Il serra les dents, ignorant ces murmures empoisonnés. Son entraînement de Gardien lui avait appris à repousser les intrusions mentales, mais la fatigue commençait à peser.
Finalement, il ne resta plus qu’un gardien, plus grand et plus dense que les autres, son essence tourbillonnant comme un orage en furie. Erydan concentra toutes ses forces, croisant Faëlgard et Umbraeth en un mouvement précis et fluide. Les deux lames s’entrelacèrent, libérant une onde d’énergie mêlant lumière et ombre, une explosion harmonieuse qui percuta le dernier gardien. L’être poussa un cri déchirant avant de disparaître, son essence se dissipant en une pluie d’étincelles.
Quand le calme revint, la vallée s’illumina davantage. La brume semblait moins oppressante, et un murmure de gratitude émanait presque des pierres sous ses pieds. Erydan, essoufflé mais debout, rangea ses épées. Il savait que cette victoire n’était qu’un prélude. L’Ankéide, la source de la corruption, l’attendait encore plus haut, dans le cœur même d’Araethir. Mais pour l’instant, il savourait cette petite victoire, sentant que chaque pas l’amenait un peu plus près de restaurer la lumière dans cette vallée tourmentée.
Au sommet d’Araethir, le vent hurlait comme une bête en colère, soulevant des tourbillons de neige et de poussière autour d’Erydan. Devant lui, l’Âme du Val se dressait sur un piédestal de roche noire, entourée d’un cercle de glyphes anciens qui pulsaient faiblement, leur lueur déformée par la corruption. Le cristal, de la taille d’un cœur humain, battait comme une chose vivante, émettant des pulsations sombres qui envoyaient des vagues de maléfices à travers l’air. Il semblait se nourrir des ombres autour de lui, aspirant toute lumière, toute chaleur, toute vie.
Mais alors qu’Erydan avançait, une présence émergea des ombres : l’Ankéide maître, une entité monstrueuse née des ténèbres mêmes de la montagne. Son corps semblait fait de brume compacte, d’une noirceur si dense qu’elle absorbait toute lumière autour d’elle. Des membres démesurés, semblables à des griffes, s’étiraient dans des angles impossibles, et deux yeux brûlant d’une lueur cramoisie le fixaient avec une haine insondable. La voix de l’Ankéide s’éleva, un grondement guttural résonnant dans les os d’Erydan :
« Tu oses troubler mon sanctuaire, dernier des Gardiens ? Tu n’es rien face à moi. Retourne d’où tu viens ou rejoins les âmes que j’ai dévorées. »
Erydan ne répondit pas, mais resserra sa prise sur Faëlgard et Umbraeth. La lumière des deux épées sembla vaciller, comme hésitant face à l’ampleur des ténèbres qui leur faisaient face. Pourtant, le Gardien avança, ses bottes crissant sur le sol glacé.
L’Ankéide attaqua en premier. D’un geste rapide, elle projeta une masse d’ombre qui fendit l’air telle une lame. Erydan esquiva de justesse, sentant l’air se glacer autour de lui. Il répliqua d’un bond en avant, Faëlgard en avant, traçant un arc de lumière dorée dans l’obscurité. La lame rencontra le bras de l’Ankéide, mais au lieu de le trancher, elle sembla s’enfoncer dans un abîme sans fin. La créature rugit, son cri faisant vibrer la montagne entière.
Erydan recula, réalisant que Faëlgard seule ne suffirait pas. Il appela alors à l’aide d’Umbraeth, sa lame d’ombre. Lorsqu’il brandit les deux épées ensemble, leurs énergies opposées fusionnèrent en une aura vibrante qui repoussa légèrement l’Ankéide. Mais la créature n’avait pas dit son dernier mot. Elle se recomposa en un instant, plus grande et plus menaçante, ses griffes s’étendant comme des fouets prêts à s’abattre.
Le combat devint un ballet de lumière et de ténèbres. Erydan frappait avec une précision surnaturelle, ses lames dansant comme des éclairs dans la nuit. L’Ankéide ripostait avec une puissance brute, ses attaques ébranlant le sol et envoyant des éclats de roche voler dans toutes les directions. Chaque coup porté par Erydan semblait arracher un fragment d’ombre à la créature, mais à chaque fois, elle se régénérait, puisait dans la corruption de l’Âme du Val pour retrouver sa force.
« Tu ne peux pas me détruire, misérable mortel ! Tant que le cristal existe, je suis éternel ! rugit l’Ankéide, sa voix résonnant comme un tonnerre. »
Erydan comprit alors que vaincre l’Ankéide par la force seule était impossible. Le lien entre la créature et l’Âme du Val était absolu. Il devait frapper à la source. Faisant appel à ses dernières forces, il changea de stratégie. Feintant une attaque frontale, il plongea sous un des coups massifs de l’Ankéide, roulant au sol pour se rapprocher du cristal.
L’Ankéide, comprenant son intention, hurla et se jeta sur lui, toutes griffes dehors. Erydan, acculé, planta Umbraeth dans le sol et invoqua une barrière d’ombre qui absorba l’impact de la charge. La barrière vacilla, mais elle tint juste assez longtemps pour lui permettre de se relever. Avec un cri primal, il brandit Faëlgard et trancha un des bras fantomatiques de l’Ankéide, qui recula en rugissant de douleur.
Profitant de cette ouverture, Erydan bondit vers le piédestal, ses deux épées scintillant comme des astres jumeaux. L’Ankéide se reformait déjà, mais il était trop tard. Erydan concentra toute l’énergie restante des lames et les plongea dans l’Âme du Val.
L’onde d’énergie qui suivit fut cataclysmique. Une lumière aveuglante, mêlant l’éclat doré de Faëlgard et l’ombre apaisante d’Umbraeth, se déversa dans toutes les directions, repoussant l’Ankéide avec une force irrésistible. La créature hurla, son corps d’ombres se dissolvant, aspiré dans le cristal purifié. Dans un dernier rugissement, l’Ankéide fut annihilée, ne laissant derrière elle qu’un silence profond.
Erydan, agenouillé devant le piédestal, sentit la chaleur bienveillante de l’Âme du Val envahir son être. Le cristal, désormais purifié, brillait d’un éclat argenté, symbole d’un nouvel équilibre. Les terres environnantes reprenaient vie, et pour la première fois depuis des décennies, le sommet d’Araethir se trouvait baigné d’une lumière paisible.
Essoufflé mais victorieux, Erydan se releva. Son regard, empreint d’une fatigue infinie, se posa sur l’horizon. Il savait que ce combat ne serait pas le dernier, mais en ce jour, il avait triomphé. Les ténèbres avaient reculé, et la lumière avait repris sa place sur Glaad.
Les cloches du village résonnèrent dans la vallée, une mélodie claire et vibrante qui semblait célébrer à la fois la fin d’une époque sombre et le début d’un renouveau. Les habitants, sortant timidement de leurs maisons, contemplaient avec émerveillement les terres qui les entouraient. Les champs ravagés, autrefois gris et stériles, étaient déjà recouverts d’une fine couche de verdure, comme si la nature elle-même s’empressait de regagner le terrain perdu. Les visages fatigués par des années de malédiction se teintèrent d’un mélange de soulagement et de gratitude.
Au centre du village, sous le grand chêne millénaire, les anciens prirent l’initiative de commencer la construction d’un sanctuaire. Des pierres furent apportées des collines environnantes, et les villageois, unis par une ferveur nouvelle, travaillèrent sans relâche pour ériger ce qui deviendrait un monument à la mémoire d’Erydan. Ils gravèrent dans la roche des symboles représentant Faëlgard et Umbraeth, les épées légendaires, ainsi qu’une image d’Araethir baignée de lumière. Ce sanctuaire, dirent-ils, serait un lieu où les générations futures pourraient venir rendre hommage au Gardien, celui qui avait bravé les ténèbres pour ramener la lumière.
Mais tandis que le sanctuaire prenait forme, Erydan restait en retrait, observant silencieusement les fruits de son acte. Assis sur une roche à la lisière du village, il contemplait les plaines qui s’étendaient au-delà de la vallée. Le héros n’éprouvait ni fierté ni regret, mais un calme étrange, un vide qui ne pouvait être comblé par les chants ou les louanges des hommes. Ce n’était pas la première fois qu’il sauvait une terre de la corruption, et ce ne serait sans doute pas la dernière. Sa vie n’était qu’un enchaînement de quêtes, chacune plus périlleuse que la précédente, chacune l’éloignant un peu plus d’une paix qu’il savait inaccessible.
À l’aube, alors que la lumière du soleil naissant baignait la vallée d’une teinte dorée, Erydan se leva. Il ajusta son manteau, usé par les vents d’Araethir, et fixa une dernière fois le sanctuaire en construction. Un murmure lui parvint, porté par le vent : des prières, des remerciements, et des espoirs. Cela aurait pu suffire à un autre, mais pas à lui. Il sentait déjà l’appel d’un autre lieu, d’un autre conflit, d’une autre tâche que seul un Gardien pouvait accomplir.
Sans un mot, il s’engagea sur le sentier qui serpentait hors du village, ses bottes laissant des empreintes éphémères dans la terre encore humide de rosée. Les brumes matinales l’entouraient, épaisses et mystérieuses, comme un voile entre le monde des hommes et celui des légendes. À mesure qu’il s’éloignait, les contours de sa silhouette s’effacèrent doucement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien, sinon le souvenir d’un homme qui était venu et reparti comme un souffle de vent.
Les habitants, bien qu’attristés de ne pouvoir le remercier davantage, comprirent que c’était là sa nature. Erydan n’était pas de ceux qui s’attardent. Sa place n’était pas parmi les vivants, mais dans les récits, les chants, et les mémoires. Le Gardien continuait son voyage, le regard fixé sur l’horizon, où d’autres ténèbres attendaient d’être dissipées, et où d’autres âmes espéraient, sans le savoir, la venue d’un sauveur.
Ainsi s’éteignit le dernier écho des pas d’Erydan dans la vallée d’Araethir, tandis que le vent, complice des anciens dieux, portait son nom vers d’autres contrées, annonçant peut-être déjà son arrivée là où le besoin d’un héros se ferait bientôt sentir.
Commentaires
Enregistrer un commentaire